Honoré de Balzac
Publié en 1842
Quel étonnant roman que celui-ci ! Composé de six parties, il mêle allègrement les genres : tableau historique nous donnant à voir la parade des troupes napoléoniennes dans Paris, étude psychologique d’une femme, de ses jeunes années à sa mort, réflexion sur la condition féminine et le mariage, et même roman d’aventures ! Balzac ne s’interdit rien et nous propose un bel assortiment de tout ce que le XIXe siècle littéraire nous a offert de meilleur. Et si l’on s’en régale, on peut toutefois avoir l’impression d’un certain manque d’unité… qui s’explique aisément : il s’agissait à l’origine de six nouvelles, correspondant à divers moments de la vie d’une femme, publiées, rassemblées et remaniées tout au long des années 1830 jusqu’à l’édition définitive de 1842 portant le titre que nous connaissons aujourd’hui. Bref, une aventure proprement balzacienne que l’histoire de ce roman…
Celui-ci relate l’histoire de Julie qui au sortir de l’adolescence connaît un véritable coup de foudre pour un séduisant officier, qu’elle épousera en dépit des préventions de son père. Il ne lui faudra attendre guère plus que le lendemain de ses noces pour comprendre combien ce dernier était clairvoyant, et s’apercevoir que Victor d’Aiglemont, parfaitement dénué d’esprit et d’élégance, se révélera incapable de lui apporter le bonheur espéré. Prise entre sa soif d’idéal et les conventions sociales, Julie laissera tragiquement échapper un premier amour avant d’en rencontrer un second qu’une fois délivrée de ses illusions elle recevra sans états d’âme. Enserrée par les liens du mariage, elle finira toutefois par payer le prix de cette liaison.
Dans ce texte, Balzac condamne ouvertement l’institution du mariage. La destinée de Julie illustre pleinement le carcan que connaissent les femmes - quand bien même elles auraient choisi leur époux, indiquant assez que c’est le régime matrimonial et le modèle social qui sont en cause, plus que les individus. Balzac ne se prive pas d’énoncer des sentences sans appel, qualifiant le mariage de « prostitution légale » où la répartition des charges incombant aux époux connaît un effroyable déséquilibre : « pour l’homme la liberté, pour la femme des devoirs ».
Le bonheur, pour une femme, semble irrémédiablement hors de portée puisqu’elle ne peut attendre nul accomplissement hors son statut d’épouse ; mais le foyer qui constitue son seul empire n’a à lui offrir que déconvenues et frustrations, y compris dans la maternité où Julie ne parvient pas à s’épanouir. Sa fille Hélène effleurera quant à elle la félicité d’une union harmonieuse, mais encore pour cela les époux devront-ils s’extraire du monde pour vivre en réprouvés sur les océans. L’issue n’en sera cependant pas moins dramatique…
On n’est pas loin ici de l’Indiana de George Sand que le hasard m’a fait lire récemment. Sand et Balzac soulignent tous deux cette dichotomie dans la condition respective des deux époux en incriminant l’institution matrimoniale, qui avait fortement évolué avec le code civil voulu par Napoléon. Balzac en fait ici une critique virulente, dans un texte jouissif, dont la tonalité éminemment romanesque intègre, dans un alliage singulier, une analyse implacable de la société de son temps. Exactement ce pour quoi j’ai aimé avec passion et longtemps lu avec exaltation cet écrivain, ses contemporains et ses successeurs immédiats.
Roman lu dans le cadre de l'opération "Mai avec Balzac" organisé par Balzacomaia et les éditions Perret, ayant cette année pour thème le mariage.
Et une lecture partagée avec Nicole dont vous pouvez découvrir le billet ici.